Collaboration spéciale de Yves Nantel
Ancien travailleur et militant de longue date à l’ACEF

« Il faut créer la richesse avant de la distribuer », nous dit-on afin de refroidir nos ardeurs dans notre recherche de solutions pour diminuer les disparités économiques entre les couches de la société.

Le problème avec cette affirmation c’est qu’au fil des ans, la richesse se crée mais qu’elle tarde toujours à être distribuée ! Quand serat-il temps de la partager ? Ne serait-ce pas plutôt la mauvaise distribution de la richesse qui nuit à sa création ?

 

La richesse est pourtant au rendez-vous

Au Québec, entre 1993 et 2011, la croissance économique était au rendez-vous. À preuve, cette croissance, mesurée par l’évolution du produit intérieur brut (PIB), a cru de 38 %. Pour sa part, le revenu médian des familles n’a cru que de 13 %, soit trois fois moins rapidement. La richesse était donc au rendez-vous… mais pas son partage (du moins pas dans la même proportion).

Ceux qui ont intérêt à la perpétuation de ce mythe sont ceux qui profitent en priorité de la création de la richesse; j’entends ici les actionnaires des entreprises ainsi que leurs dirigeants, car tous les efforts concourent à les satisfaire.

À chaque trimestre ou fin d’année, nous constatons la démesure dans les profits de plusieurs grandes entreprises et des salaires de leurs dirigeants. L’exemple des augmentations de salaires de ceux de Bombardier, qui ont fait scandale à la fin mars, en est un exemple éloquent.

À qui profite la croissance anticipée de Bombardier ? À ses dirigeants ou aux 14 500 travailleurs qui seront mis à pied dans le monde par cette multinationale[1] ?

 

L’État est responsable de redistribuer la richesse

Il y a deux grands moyens de redistribuer la richesse : les salaires et les politiques redistributrices de l’État.

Pour que le premier moyen soit efficace, il faudrait que nous atteignions une situation de plein emploi. Ainsi, tous auraient un revenu et des conditions facilitant la mobilité en emploi, dont des programmes de formation de la main d’œuvre, des bourses d’études en perfectionnement, etc. Ce qui n’est pas le cas. L’histoire démontre que les règles actuelles régissant l’économie n’arrivent pas à favoriser le plein emploi.

Il faut donc une instance responsable d’une distribution plus équitable de la richesse : l’État, le gouvernement élu, avec son programme. Le gouvernement a entre ses mains les leviers pour y arriver dont :

  • la fiscalité (les impôts et les taxes à la consommation);
  • et les politiques sociales (assurances maladie et médicaments, aide sociale, garderies accessibles à tous, congés parentaux, salaire minimum, etc.).

L’État doit réguler l’imposition afin de favoriser la redistribution de la richesse. Il doit imposer davantage certaines couches privilégiées et appliquer des politiques sociales. Cet exercice assure des chances égales pour tous et compense ainsi l’incapacité des lois économiques à partager la richesse de façon égalitaire. En dernière instance, c’est l’État qui doit s’assurer que les écarts entre les plus riches et les pauvres se rétrécissent.

 

«Pour créer de la richesse, il faut mieux la redistribuer»

L’accroissement des inégalités sociales que nous constatons ces dernières années est un facteur d’aggravation de la pauvreté avec ses conséquences. Les études démontrent largement que la pauvreté entraine :

  • des problèmes de santé physique;
  • des problèmes de santé mentale;
  • des problèmes de délinquance, de violence et d’obligation de répression policière;
  • des problèmes de décrochage scolaire et de perte de l’employabilité;
  • des problèmes de diminution de la mobilité sociale;
  • etc.

Ce sont tous des problèmes qui accaparent des parts plus qu’importantes du budget de l’État et qui ont des incidences sur la qualité de la main d’œuvre disponible.

Nous croyons, comme feu Paul Bernard, sociologue québécois, qu’il serait préférable d’inverser l’affirmation comme suit : « Pour créer de la richesse, il faut mieux la redistribuer »[2].

Si l’État s’attelle à la tâche d’assurer à tous une éducation de qualité, des soins de santé et des services sociaux adéquats, une mobilité d’emploi et un sentiment d’égalité sociale, on favorise la croissance économique et ainsi la richesse à repartager.

Pour cela, il faut qu’aux commandes de l’État, nous ayons un gouvernement qui croit en son rôle de régulateur des inégalités sociales et qui se donne les moyens pour assurer cette régulation. On pourrait bien assurer la prospérité économique du Québec, mais si cette prospérité ne sert pas à assurer des revenus plus égalitaires, à terme, cela devient contre productif.

En contrepartie, il faut que, comme citoyens-nes, nous soyons conscient-e-s de la nécessité de se doter d’un gouvernement avec cette volonté d’assumer ce rôle de régulateur.

L’idée est de s’assurer que les fonds publics soient utilisés selon nos priorités et dans une perspective de bien vivre ensemble. Il est alors préférable pour le gouvernement de se donner les moyens d’exercer son rôle efficacement que d’en remettre la responsabilité sur les individus par des baisses d’impôts.

Oui, pour créer de la richesse, il faut mieux la redistribuer et immédiatement.


[1] Les salaires des hauts dirigeants de Bombardier bondissent, Julien Arsenault, Le Devoir, 30 mars 2017.

[2] Les inégalités : un choix de société, Nicolas Zorn, Institut du Nouveau Monde 2017.