Électrification oui mais…
Suite à l’échec lamentable des plans d’action antérieurs et à l’intensification des conséquences du réchauffement climatique, de nouveaux plans de lutte au réchauffement du climat ont émergé. Une des mesures phares est l’électrification des transports avec l’interdiction de la vente de véhicules neufs à essence à partir de 2035. On comprend : le transport est un des secteurs le plus émetteur de GES. À titre d’exemple, au Québec, il contribue pour 43,3 % des émissions.
Le Canada, les États-Unis et l’Union européenne (27 pays) ont adopté des mesures semblables. L’on ne peut que souscrire à cette mesure mais sans tomber dans l’illusion, d’une part que l’électrification sera facile, d’autre part qu’elle règlera le problème des émissions de GES de ce secteur.
Obstacles à l’horizon : rareté et concentration des minéraux
La transition de l’auto à essence à l’auto électrique demande de nouveaux moteurs et des batteries. Ces moteurs et ces batteries requièrent des matériaux que la planète ne pourra pas nous fournir à long terme. On pense ici particulièrement au lithium, au cobalt et au cuivre.
Le lithium, absolument essentiel dans la fabrication des batteries d’auto, se fait déjà rare. Comme il est aussi nécessaire pour le fonctionnement des appareils électroniques autant individuels, industriels que médicaux, il est des plus convoités. En septembre dernier, la présidente de la Commission européenne affirmait que le lithium sera bientôt plus important que le pétrole et le gaz.
Le cuivre devrait avoir atteint son « peak » entre 2040 et 2050 et voir ses réserves épuisées en 2100. Ceci signifie que sa disponibilité diminuera à partir de 2040 et qu’en conséquence son prix augmentera jusqu’à épuisement des réserves. Le cobalt, nécessaire à la fabrication des batteries, est un métal que l’on retrouve amalgamé au cuivre. Il n’existe qu’une seule mine au monde dont le cobalt est le seul minerai. Sa diminution de disponibilité devrait donc suivre celle du cuivre. Pour sa part, le nickel de classe 1 pourrait être en pénurie dès 2025 selon Tesla qui dit d’avoir déjà de la difficulté à s’en approvisionner.
À la rareté appréhendée s’ajoute la concentration. L’Australie, le Chili, l’Argentine et la Bolivie concentrent à elles seules plus de 60 % des réserves de lithium au monde. Pour sa part, la Chine en possède 17 % en plus de se spécialiser dans le raffinage du précieux métal. On a exporté en Chine la pollution engendrée par le raffinage en contrepartie elle en a profité pour son développement économique.
On est bien placé aujourd’hui pour apprécier le jeu des superpuissances dans leur volonté de contrôler le monde et comprendre que le succès de la lutte aux changements climatiques dépend de l’accès aux ressources dans l’accomplissement des mesures de réduction de GES. À titre d’exemple, si la Chine se réserve le lithium pour ses propres entreprises et impose des entraves à la vente du lithium qu’elle contrôle, elle peut donc ralentir l’électrification des transports.
De son côté, l’Ukraine, avant la guerre que lui livre la Russie, s’apprêtait à finaliser une entente avec European Lithium, une société australienne, afin d’exploiter deux sites d’extraction et devenir le plus grand fournisseur de lithium en Europe. Où ? Dans la région du Donbass que revendique la Russie, l’autre plus à l’ouest. Avec la victoire, la Russie serait bien placée pour imposer ses vues et sélectionner les pays pouvant accéder au minerai.
Sachons voir plus loin
Produire des autos électriques sera un défi de taille mais il est à espérer qu’il se réalisera malgré les nuages gris à l’horizon autour de la rareté des ressources ou encore du contrôle de ces dernières.
Avec l’atteinte de l’électrification de tous les nouveaux véhicules en 2035, on pourrait croire que le problème serait réglé, qu’on aurait la paix et que la vie pourrait continuer comme avant. Mais en conservant le même nombre de véhicules sur les routes, ce serait oublier les problèmes d’émissions lors de la fabrication, les nouvelles routes à construire et à entretenir pour contrer la congestion, l’émission nocive des particules d’usure des pneus, des freins et autres. De plus, ce serait un incitatif à l’étalement urbain et ses conséquences sur le territoire, le tout étant interrelié. Et oublier le problème, non le moindre, de l’épuisement du lithium, du cuivre, du cobalt au niveau planétaire.
Décidément, il faut repenser notre rapport à l’auto à long terme, dans la perspective d’une planète avec des ressources limitées. D’abord, prévoir la conception des véhicules et des batteries de façon à ce qu’on puisse recycler les matériaux à 100 % ou presque et avec des procédés de production carboneutre. Puis penser l’aménagement du territoire pour que l’on ait à peu nous déplacer pour vivre, que l’on préserve les terres pour l’agriculture et les arbres comme espace vert. En fait, repenser une vie plus sobre mais plus heureuse et plus gratifiante.
Au début de l’ère industrielle, on pensait bien faire en empilant les énergies fossiles les unes par-dessus les autres, charbon, pétrole et gaz, mais on n’a pas su le réaliser à l’intérieur des capacités de la planète. Ne faisons pas la même erreur au niveau de l’épuisement de certains minéraux.
Texte de Yves Nantel
Bénévole et militant de longue date