Oui, j’ai acheté des stylos. Geste anodin. Il y en avait toute une panoplie. J’ai choisi des SARASA, en emballage de 4, produits au Mexique pour Zebra Pen Canada Corp. J’avais le choix de plusieurs couleurs d’encre. Le prix : 7,79$ pour les 4.

La semaine dernière, un premier stylo m’a fait faux bond. Plus d’encre. J’en ai déballé un deuxième. Mais alors qu’est-ce que je fais du premier, comment en disposer, me suis-je dis ? Il n’est plus utile. Évidemment ! Je m’apprête à le jeter au rebut, destination bac noir.

Mais pourquoi pas au recyclage, destination bac vert ? Je poursuis ma réflexion. Le stylo comprend du plastique, du métal, du caoutchouc, de l’encre. Si je le mets au recyclage comment les centres de tri vont-ils le considérer ? Il n’y a pas de logo sur le crayon indiquant la sorte de plastique utilisée. Je soupçonne fortement que le stylo prendra la voie de l’enfouissement de toute façon car il compliquerait même la vie des recycleurs. Ai-je raison ?

J’explore une autre alternative : acheter des recharges. On mentionne cette possibilité sur l’emballage des stylos. À la papeterie où j’ai acheté mes stylos, on en vend au coût de 3,99$ pour 2 unités. Question d’en avoir le cœur net, je poursuis mon investigation sur internet; toujours avec ma préoccupation écologique.

Chez les papeteries autour de chez moi, les stylos se détaillent, en emballages de 4, à :

  • 8,99$ chez Hamster;
  • 7,79$ chez Bureau en Gros;
  • 9,99$ chez Fourniture Denis;
  • 9,28$ chez Walmart.

Rapportés à l’unité, cela revient à 2,25$, 1,95$, 2,50$ et 2,32$. Je les ai même trouvés chez Amazon.ca à 19,99$ pour 14 stylos, soit 1,43$/unité.

Les recharges se vendent à 1,99$ l’unité (Walmart ne les offre pas). Là où j’ai acheté mes stylos, le prix du stylo au complet est moins cher que la recharge. Chercher l’erreur.

J’en conclue donc que l’option de la recharge n’est pas une option et fait même partie de la catégorie «ça ne vaut pas la peine, un neuf ne coûte pas plus cher». N’est-ce pas une tactique qui frôle l’obsolescence programmée?

Cette incursion dans ce domaine m’amène plus loin. Comment des commerçants peuvent-ils vendre ce produit à moins de 2,00$ l’unité et vendre les recharges à 1,99$ ? À combien revient le coût de fabrication des recharges de la part de Zebra ? Si l’ensemble du produit, incluant la recharge, est vendu à 1,95$, voir 1,43$ chez Amazon, la recharge ne doit pas coûter beaucoup plus que 0,25$ à produire.

Je me risque en pensant que si cette entreprise avait l’environnement tatoué sur le cœur, elle pourrait, au moins, mettre l’accent de vente sur la réutilisation de son produit en fixant un prix pour la recharge autour de 0,35$ par exemple. Le stylo me semble être d’une conception assez solide pour accepter l’utilisation de plusieurs recharges.

Ainsi, la solution logique serait que les consommateurs puissent acheter un seul stylo et plusieurs recharges. Pourquoi ne pas offrir des emballages incluant un stylo et 2 ou 3 recharges, par exemple? Combien de GES en moins si toutes les entreprises de stylos adoptaient cette option et en faisaient la promotion ? Le site internet de Bureau en Gros offre 28 sortes de stylos en inventaire. Ajoutons les crayons feutres à surligner, à colorier, à encre effaçable ou indélébile, etc., ça en fait du crayon à mettre au rebut, ça en fait du plastique dans la nature.

En définitive, j’ai acheté des recharges. Par conviction, évidemment, car je n’avais aucun autre avantage que celui de la protection de la planète.

 

Au crible de l’économie circulaire

Ma réflexion est-elle correcte ? Peut-être que je n’ai pas pris en compte certaines considérations ? Pour y voir plus clair, un bon moyen serait de soumettre ce bien de consommation aux mécanismes d’analyse de l‘économie circulaire.

Au lieu de réfléchir le mode de production de manière linéaire «extraire, produire, consommer et jeter» (économie linéaire actuelle), on pourrait le réfléchir dans le cadre de l’économie circulaire. C’est-à-dire, repenser le processus de production et de consommation dans la perspective d’extraire le moins possible de matières premières, avec le moins de pollution possible et de prévoir la réutilisation maximale, puis le recyclage et finalement l’enfouissement pour les résidus non récupérables.

 

Changer de paradigme

Concrètement, il faudrait obliger les producteurs à se soumettre à la stratégie de l’écoconception, ce qui impliquerait de mesurer l’empreinte environnementale des biens produits donc une analyse du cycle de vie (ACV) et de prévoir l’optimisation des produits jusqu’à leur fin de vie.

Ce serait ici une manière de changer de paradigme. Penser autrement le développement économique et agir en conséquence. Avec le modèle actuel, nous fonçons droit dans le mur. Nous épuisons les ressources de la planète, nous contribuons au réchauffement du climat et par le fait même, nous scions la branche sur laquelle nous sommes confortablement assis.

Texte de Yves Nantel
Bénévole et militant de longue date