Collaboration spéciale de Yves Nantel
Ancien travailleur et militant de longue date à l’ACEF

Vendre à tout prix, tel est l’impératif premier de toute entreprise qui veut maximiser son profit et concurrencer ses compétiteurs.

Pour ce faire, elle est prête à utiliser tous les moyens possibles dont la planification de la désuétude et de la perte de valeur de son produit, même si cela se réalise au détriment des consommateurs et de l’environnement.

Cela fait partie des lois du marché de notre système économique. C’est pourquoi il faut baliser cette pratique pour rétablir un certain équilibre entre le consommateur, l’environnement et l’entreprise.

 

Deux types de désuétude planifiée

On constate deux types de désuétude planifiée :

  • la désuétude physique des produit;
  • la désuétude psychologique.

 

La désuétude physique

C’est celle qui consiste à planifier la qualité et la durabilité des produits mis en marché. Il n’est pas nécessaire que l’intention avouée des entreprises soit de diminuer la qualité et la durée de vie des produits, il suffit qu’elles le fassent pour permettre l’écoulement des productions afin de maximiser leur profit.

Qui ne s’est pas plaint de constater que leurs appareils électroménagers (petits ou gros) sont moins résistants que ceux précédemment utilisés ?   Qui n’a pas décidé de remplacer un appareil devant la difficulté à trouver des pièces de rechange ou devant le cout excessif de réparation de l’appareil ? Qui n’a pas acheté des biens à usage unique ?

 

La désuétude psychologique

Plus subtile mais combien efficace, elle consiste à déprécier psychologiquement les produits et vise à ce que les consommateur-trice-s les mettent au rancart malgré leur durée de vie non consommée. Pensons à la mode et aux techniques de marketing déployées pour que nous succombions à l’achat des nouveautés.

Chaque année, les producteurs d’automobiles sortent de nouveaux modèles, avec quelques modifications, principalement esthétiques, rendant désuet le modèle de l’année antérieure. Chaque saison appelle son lot de modes vestimentaires visant à rendre obsolètes son t-shirt, sa blouse ou son manteau récemment achetés.

De leur côté, les grands de l’informatique rivalisent pour sortir leurs tablettes, téléphones intelligents, ordinateurs et autres afin que nous salivions d’envie pour le nouveau modèle.

L’exemple typique est celui d’Apple qui a planifié la sortie de ses derniers IPhone avec le même appareil mais qu’il fallait l’année suivante payer quelques centaines de dollars pour le rendre plus performant.

C’est, à chaque fois, cet impératif de vendre à tout prix afin de maximiser leur profit qui entraine les entreprises à rendre désuets le plus vite possible les produits qu’elles mettent sur le marché.

 

Des conséquences à plusieurs niveaux

Cette logique, inscrite dans les gênes de notre système économique, se fait au détriment de l’environnement par le gaspillage de ressources et la pollution conséquente dus à la mise au rancart prématurée des biens. Elle se fait aussi au détriment du bien-être des consommateurs-trices qui voient leur pouvoir d’achat atrophié chaque jour davantage.

Par ricochet, cette pratique contribue à élargir les inégalités sociales car les moins nantis sont obligés de se satisfaire de produits de moins bonne qualité et de consacrer une part plus importante de leur budget à l’achat de ces biens.

 

Le «trio» de l’effort pour vendre

Curieusement, nous sommes dans une période d’essor économique sans que le pouvoir d’achat des consommateurs suive au même rythme.

Ceci veut dire que les chaines de production tournent bien, qu’il y a tendance à la surproduction et qu’il faut donc écouler cette production.

L’effort pour rendre désuet le plus rapidement possible ce qui sort des usines est bien tentant. La publicité est omniprésente et le crédit atteint des sommets. Ceux-ci complètent bien, avec l’obsolescence, le trio de l’effort pour vendre à tout prix.

 

L’expérience européenne

Alors que cette problématique est peu soulevée ici, en Europe, particulièrement en France, le débat est très vif et prend de l’ampleur jusqu’à mobiliser les énergies de l’Union européenne.

Le débat est porté conjointement par le mouvement de consommateurs et par le mouvement écologique. Les eurodéputés viennent de demander à la Commission européenne de légiférer afin de contrer l’obsolescence planifiée.

Le rapport de force est engagé entre les mouvements porteurs des revendications et le puissant lobby des entreprises multinationales.

Les revendications visent à :

  • obliger les entreprises à produire des biens d’une durée de vie plus longue;
  • obliger les entreprises à consentir des garanties plus longue, 5 ans, par exemple au lieu d’un an dans bien des cas;
  • à forcer les entreprises à adopter des critères de résistance minimum couvrant, entre autres, la robustesse, la possibilité de réparation ou encore à préciser l’évolution de chaque catégorie de produits dès leur conception;
  • exiger l’étiquetage de la durée estimée de vie du produit et de sa possibilité de le réparer en  cours de vie.

Déjà, certains pays de l’Union européenne ont pris certaines mesures pour contrer l’obsolescence planifiée dénoncée :

  • la Norvège et l’Islande ont statué sur une garantie légale de 5 ans,
  • en Angleterre et au pays de Galles, elle est de 6 ans,
  • en Suède, le taux de taxation (leur TPS) sur la réparation des biens est réduit et les consommateurs peuvent déduire de leur impôt 50 % des couts de la main d’œuvre pour ces réparations,
  • en Autriche, le gouvernement décerne des prix d’excellence pour les produits électroménagers fabriqués de manière durable et réparable.

En France, un organisme spécialement dédié à cette problématique s’est mis en place, il s’agit de Halte à l’obsolescence programmée (HOP). Son analyse porte sur l’émission inutile de gaz à effet de serre pour produire les biens rendus désuets avant terme, la perte du pouvoir d’achat des consommateurs, la perte d’emplois non délocalisables dans le secteur de la réparation[1] et l’aggravation des inégalités sociales conséquente.

Pour sa part, Greenpeace a produit une analyse importante sur les appareils électroniques de grande consommation, à savoir les « smartphones », les tablettes et les ordinateurs portables en fonction  de leur capacité à être réparés, donc de leur obsolescence … « les Samsung, Microsoft et Apple ressortent avec le bonnet d’âne », concluait Stéphane Mandard du journal Le Monde le 04/07/18.

 

Ici au Québec

Dès 1978, la Loi sur la protection  des consommateurs (LPC), article 38[2], tentait de contenir la désuétude planifiée des produits en instaurant une garantie légale aux produits mis sur le marché en statuant qu’un bien faisant l’objet d’un contrat doit servir à un usage normal pendant une durée raisonnable.

Cet article permet à un consommateur de réclamer en justice un remboursement ou une compensation advenant que le bien n’ait pas une durée de vie raisonnable même si la garantie conventionnelle est échue (celle émise par le fabriquant), et advenant le refus du marchand de réparer ou de remplacer un bien, etc.

Mais qui connait cette possibilité légale et qui l’utilise ? Il faut beaucoup de détermination pour entreprendre une poursuite devant les tribunaux.

Pour sa part, la revue Protégez-Vous favorise l’information et l’éducation des consommateurs-trices sur plusieurs dimensions de la désuétude planifiée des produits. Malgré son rôle de grande importance, l’éducation fait reposer la responsabilité sur les épaules des consommateurs-trices pris individuellement alors qu’on ne force pas les entreprises à assumer leurs responsabilités sociales.

 

Conclusion

Les conséquences de l’obsolescence planifiée sont à ce point capitales qu’il m’apparait nécessaire de légiférer pour contrer à la source ce phénomène. Il y a des limites vite atteintes à la responsabilité des consommateurs-trices et l’expérience antérieure nous démontre que l’on ne peut se fier à l’autoréglementation des entreprises à ce sujet.

Le mouvement de consommateurs doit continuer de jouer son rôle d’information et d’éducation des consommateurs-trices mais il doit aussi mettre à son agenda la revendication politique visant à contenir à la source l’obsolescence planifiée des produits.

À l’instar de la situation en Europe, une coalition avec le mouvement écologique deviendra rapidement nécessaire car il faut bien prendre conscience que s’attaquer à l’obsolescence planifiée, c’est s’attaquer à la génétique inhérente à notre système économique de type capitaliste.

 


 

[1] Selon Pascal Durand, député européen et auteur d’un rapport sur la problématique de l’obsolescence planifiée : « réparer plutôt que jeter les appareils électroniques pourraient créer des centaines de milliers d’emplois non délocalisables en Europe » cité par RFI, Voix du Monde le 06/07/17.

[2] LPC, article 38 : « Un bien qui fait l’objet d’un contrat doit être tel qu’il puisse servir à un usage normal pendant une durée raisonnable, eu égard à son prix, aux dispositions du contrat et aux conditions d’utilisation du bien ».