Collaboration spéciale de Yves Nantel
Ancien travailleur et militant de longue date à l’ACEF

Dans ma dernière chronique, je soulignais le peu de débat sur la question de l’obsolescence planifiée au Québec. Je mettais de l’avant la nécessité de coaliser le mouvement écologique et le mouvement de consommateurs pour contrer ce phénomène préjudiciable pour les consommateurs et pour l’environnement. Depuis ce temps, les choses ont évolué.

Il faut dire que l’obsolescence programmée, que nous appelions la désuétude planifiée, a déjà fait l’objet d’attentions particulières dans les années 70 et 80 de la part des organismes de consommateurs, particulièrement réunis autour de la Fédération des ACEF du Québec.

Elle faisait partie de la critique de l’« effort pour vendre », composé en plus de la publicité, des techniques de marketing ainsi que du crédit.

Ce sont tous des concepts accompagnés de techniques visant à pousser la consommation à outrance dans notre société de consommation de masse. Produire, produire et toujours produire donc vendre, vendre et vendre à tout prix.

 

Qu’est-ce que l’obsolescence ?

L’obsolescence est le phénomène par lequel un bien ou un service est rendu désuet obligeant ou poussant le consommateur à le délaisser avant sa durée de vie utile. La qualité et ainsi la durée de vie peuvent être délibérément planifiées par le producteur ou le fournisseur de services (obsolescence physique) ou encore favorisées par la publicité, la mode, etc. (obsolescence psychologique).

Qui ne s’est pas retrouvé avec un appareil quelconque qui a brisé prématurément mais qu’il en coutait plus cher de le faire réparer que d’en acheter un autre ?

Ou encore que devant la difficulté à trouver des pièces de rechange, il n’a pas succombé et mis l’appareil au rebut pour le remplacer tout simplement ?

Il se peut aussi que devant la publicité, mode oblige, l’on se départisse d’un bien ou d’un service bien avant sa durée de vie utile.

 

Équiterre relance le débat

Le débat vient d’être relancé suite à la publication[1] d’une étude dévoilée par Équiterre le 23 mai 2018. Cette étude portait sur la perception du phénomène de l’obsolescence par les consommateurs canadiens ainsi que sur leur comportement concernant particulièrement les appareils électroménagers et électroniques (AEE).

Il ressort de cette étude que :

  • 80 % affirment avoir acheté leurs appareils neufs donc une faible propension au réemploi;
  • 86 % croient que les AEE sont volontairement conçus pour être rapidement désuets;
  • moins de 50 % se reconnaissent un rôle pour contrer l’obsolescence;
  • seulement 19 % font réparer leur appareils électroménagers et 26 % leurs appareils électroniques;
  • les tactiques de marketing ont une influence importante sur l’obsolescence.

L’étude propose aussi des pistes d’action autant pour les consommateurs, les entreprises ou encore nos gouvernements.

On parle ici d’actions citoyennes de revendications, d’initiatives reliées à l’aide à la réparation d’objets, la mise en place de labels garantissant la qualité de produits, au vote de lois ou règlements s’appliquant à régir l’obsolescence ou encore d’initiatives de recyclage, de récupération, de revente, etc.

 

L’expérience française de Halte à l’obsolescence programmée (HOP)

Par ailleurs, Laetitia Vasseur, cofondatrice de HOP vient de faire un séjour au Québec afin de partager l’expérience française[2].

Son organisme a déjà porté plainte, en septembre 2017, contre les compagnies HP, Epson et Canon les accusant de raccourcir délibérément la durée de vie de leurs imprimantes. HOP a récidivé en décembre dernier en s’attaquant cette fois à Apple.

De plus, l’organisme a réussi à sensibiliser le gouvernement français qui a adopté une loi en 2015 prévoyant une peine d’emprisonnement maximale de 2 ans et d’amende de 450 000 $ pour les contrevenants jugés coupables d’avoir réduit délibérément la durée de vie de leurs produits.

Laetitia Vasseur a aussi insisté sur la nécessité de la mobilisation des consommateurs pour faire changer la situation.

 

Quel rôle pour le mouvement de consommateurs

L’obsolescence est un enjeu fondamental d’un projet de société qui prône une consommation durable dans laquelle s’inscrit le mouvement de consommateurs québécois.  Ce dernier a donc un rôle primordial dans la lutte à l’obsolescence. C’est un enjeu qui rejoint autant le mouvement de consommateurs que le mouvement écologique.

L’obsolescence est un mécanisme inhérent au système économique qui n’a d’attention que pour la croissance à tout prix qui nous mène à terme sur un mur. Nous sommes sur une planète à ressources limitées alors que nous agissons comme si elles étaient infinies.

Ce système économique considère que le progrès nécessite une croissance continue alors que nous devrions dès aujourd’hui prévoir la décroissance si l’on veut respecter les largesses de la planète pour les générations futures.

Concrètement, je crois que le mouvement de consommateurs, avec son enracinement dans toutes les régions du Québec, devrait prioriser cette lutte à l’obsolescence.

Il devrait en faire un dossier de défense collective des droits pour les prochaines années à l’instar des campagnes répétées d’éducation sur le crédit à la consommation et de son action pour faire adopter une législation qui oblige les institutions financières à travailler dans l’intérêt des consommateurs.

Le travail de mobilisation devrait inclure dès le départ des actions à trois niveaux :

  1. la dénonciation de l’obsolescence et la mobilisation des consommateurs dans cette dénonciation;
  2. les pressions sur les entreprises et sur les gouvernements pour l’adoption de mesures visant à contrer ce phénomène;
  3. la proposition d’alternatives à la croissance débridée et l’incitation à mettre en place localement ces initiatives.

Un enjeu de cette importance oblige une mobilisation sociale qui se planifie à tous les paliers d’actions du local au national. Il faut mettre en application l’appel de Laetitia Vasseur, à l’effet que « pour lutter contre l’obsolescence programmée et faire bouger les gouvernements, il faut que les citoyens se mobilisent et unissent leurs voix ».

Sans cet engagement, c’est le discours dominant des entreprises et commerçants qui prévaudra et influencera les consommateurs. Le mouvement de consommateurs en coalition avec le mouvement écologique pourrait faire contrepoids à ce discours.


[1] L’étude intitulée Obsolescence des appareils électroménagers et électroniques : quel rôle pour le consommateur ? a été menée avec plusieurs partenaires dont RECYC-QUÉBEC, l’organisme français Halte à l’obsolescence programmée (HOP), Option consommateurs, le Consumers Council of Canada et l’Observatoire de la consommation responsable. Le rapport complet est disponible sur le site internet d’Équiterre.

[2] Séjour relaté par l’article La pression populaire pour lutter contre l’obsolescence programmée, Karl Rettino Parazelli, Le Devoir, 1 juin 2018