Texte de Yves Nantel
Bénévole et militant de longue date

L’histoire se passe dans la ville industrielle de Norilsk en Sibérie. Le 29 mai dernier, un réservoir de diesel de la centrale thermique No 3, propriété de Norilsk Nickel, fuit et déverse plus de 21 000 tonnes de carburant dans cette région marécageuse et dans les rivières avoisinantes et déclenche un incendie.

La rivière Ambarnaya et ses affluents sont contaminés, les sources d’eau potable sont devenues inexploitables, le président Poutine a déclaré l’état d’urgence et les équipes d’urgence ont été déployées.

« Nous pouvons supposer que des températures anormalement douces pourraient avoir provoqué la fonte du pergélisol, entrainant un affaissement partiel des supports du réservoir » a commenté le chef de l’exploitation de Norilsk Nickel.

 

Le pergélisol

Norilsk a la caractéristique d’être construite entièrement sur le pergélisol et sa fonte, démontrée en Russie, menace la stabilité de nombreuses installations industrielles et de stockage de produits toxiques et dangereux.

Le pergélisol est le sol, gelé en permanence, d’une grande partie de l’Arctique canadien et russe (Sibérie), de l’Alaska et du Nord du Groenland. Il recouvre 25% des terres émergées de l’hémisphère Nord et représente un immense réservoir de carbone. La glace peut y mesurer quelques mètres à plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Le processus de formation s’est échelonné sur des dizaines de milliers d’années.

Sa stabilité reconnue a permis de construire des villages, des infrastructures, et des routes sur cette surface. Au Canada, ce sont particulièrement les Inuits qui y vivent en permanence. Or voici que le réchauffement climatique compromet tous ces développements. Norilsk en est un exemple.

 

Accélération du réchauffement du climat

Selon Rapport sur le climat changeant du Canda, produit par Environnement Canada et publié en avril 2019, le réchauffement de l’Arctique est deux fois plus rapide que la moyenne mondiale, il en est de même en Sibérie. Cette même étude spécifie que la température moyenne du Canada a augmentée de 1,7 ℃ depuis 1948 mais qu’elle fut de 2,3 ℃ pour la même période dans l’Arctique.

Au fil de sa création, le pergélisol de la planète a capté et emprisonné quelque 1 700 milliards de tonnes de CO2 soit le double de GES déjà présents dans l’atmosphère. Avec le réchauffement de la planète, le pergélisol fond et libère le CO2 emprisonné. Cette libération provoque à son tour le réchauffement de la planète, ce qu’on appelle une boucle de rétroaction. Et nous tombons dans une spirale infernale de réchauffement avec ses conséquences désastreuses.

Alors que jusqu’à aujourd’hui on considérait les glaces nordiques comme des puits de captation de CO2, on vient de découvrir qu’elles en émettent davantage qu’elles en captent. Cherchez l’erreur. À ce jour, les modélisateurs du GIEC ne prenaient pas en compte les émissions de GES en provenance du pergélisol. Ceci nous oblige à réajuster à la hausse nos cibles de réduction de GES.

 

Pas seulement du CO2

Le pergélisol ne recèle pas seulement du CO2, il contient aussi du méthane en grande quantité. Le méthane est un GES avec un facteur de réchauffement beaucoup plus grand que le CO2. On parle de 70 fois plus dommageable que son acolyte. Par contre, heureusement il est en moins grande quantité que ce dernier.

Dernièrement, nous apprenions que la fonte du pergélisol mettrait à nu de grandes quantités de mercure, un métal hautement toxique.

« Sous certaines formes, le mercure est une puissante neurotoxine. Chez les enfants, il peut nuire au bon développement du cerveau, affecter la mémoire, leurs capacités langagières et même leurs aptitudes motrices et visuelles. Chez les adultes, des quantités excessives de mercure peuvent entraver la vision, la parole et les mouvements musculaires »[1].

Ces nouvelles découvertes font dire à plusieurs experts qu’il ne faut absolument pas ignorer la fonte du pergélisol car c’est une vraie boîte de Pandore. Vaste, dangereuse et encore grandement inconnue.

 

Une crise sanitaire en vue

Le pergélisol n’a pas emprisonné que des GES et du mercure, il a aussi emmagasiné des bactéries et des virus aujourd’hui oubliés. En 2016, en Sibérie, on a attribué la mort d’en enfant à l’anthrax, un virus disparu depuis plus de 75 ans mais réapparu dans le corps décongelé d’un renne terrassé par ce virus. Depuis deux années, on rapporte la découverte de 2 virus géants, dont l’un vieux de 30 000 ans, conservés dans le pergélisol.

Pourrions-nous voir réapparaitre la variole par exemple ? Des experts en émettent la possibilité.

La libération de ces virus provoquerait des crises sanitaires beaucoup plus dommageables que celle que nous vivons actuellement avec la COVID-19. Ça fait réfléchir. Un confinement de quelques jours ou semaines n’y changerait rien.

 

Il y a une limite à ne pas dépasser.

Il a fait + 38 ℃ en Sibérie cet été. Du jamais vu ! Le drame de Norilsk n’est qu’un exemple récent de conséquences de la fonte du pergélisol. Au Canada, le Yukon a déjà perdu 3000 hectares de lacs dans la plaine Old Crow depuis une cinquantaine d’années. Ailleurs, on a commencé à déplacer des bâtiments, des populations et rien n’indique que cela s’arrêtera.

Chaque nouvelle étude publiée confronte les climato-sceptiques de la trempe de Donald Trump et de Jair Bolsonaro du Brésil. Ce sont ces mêmes qui laissent la COVID-19 se propager dans leur pays avec tous les morts qui s’ensuivent. Ils sont prêts à ignorer les conséquences du réchauffement de la planète et à affronter l’irréparable.

Le GIEC nous demande de limiter le réchauffement climatique à 2 ℃, idéalement 1,5 ℃ d’ici 2030 et à atteindre la carboneutralité pour 2050. Évidemment que la pandémie actuelle nous distrait de ces cibles et nous amène à des retards que nous devrons impérativement rattraper. J’avoue ne pas voir à l’horizon de volontés politiques affirmées en ce sens de la part de notre gouvernement canadien.


[1] Graig Welch, National Geographic, janvier 2018.